Witold Sadowski, « Le texte en dialogue avec son genre. Les litanies de Laforgue », Poétique 179 (2016).
L’objet de cet article est une oeuvre particulière de Jules Laforgue, bien qu’en réalité il faille parler de deux oeuvres. Nous en avons en effet deux versions qui divergent fortement (…). La première, intitulée « Les Litanies de mon triste coeur », a été conservée sous la forme d’un manuscrit daté du 15 novembre 1880 ; la seconde, intitulée « Complainte-litanies de mon Sacré-Coeur », a été écrite en 1881 et, en quelque sorte, approuvée par l’auteur puisque c’est celle qu’il a intégrée au volume des Complaintes en 1885.
Ces deux variantes fonctionnent encore aujourd’hui dans la réception de l’oeuvre, probablement en raison de leurs importantes divergences, qui affectent approximativement la moitié du texte. De si profondes différences, concernant un poème dont l’identité est pourtant évidente (malgré les changements effectués), nous permettent d’examiner la relation qui s’établit entre le texte de l’oeuvre littéraire et le genre que ce texte entend donc adopter de deux manières différentes. En effet, les différentes versions du même poème ne constituent pas seulement diverses rédactions de la couche verbale de l’oeuvre, elles sont également des moyens concurrentiels de créer un lien entre l’oeuvre et son socle générique. Plus ses variantes internes divergent, plus le potentiel réactif du genre qui leur donne voix devient visible. (…)